Travaux pratiques [pv]

Et encore une période bien satisfaisante. Bon d’accord, cela ne faisait pas longtemps qu’elle donnait ses cours ici, dans cette école. Bon d’accord, elle n’avait pas donné de très grand discours magistral. Elle détestait cette méthode d’enseignement. Elle n’avait pas beaucoup parlé non plus, sinon pour les encourager. Adepte des surprises en tout genre, l’enseignant s’était pointée dans la salle de classe avec un paquet de menottes dans son sac qui avait fait sursauter tout le monde - elle arrivait toujours en retard à ses cours - quand elle l’avait posé avec fracas sur le bureau, coupant court aux conversations.

-Aujourd’hui, simulation, avait-elle simplement lancé. Chacun de vous sera menotté à son bureau, et je ne vous libèrerai pas. Si vous n’êtes pas parvenu à vous détacher vous-même avec les trucs que je vous ai donnés hier, vous avez intérêt à être inventifs, parce que je vous laisserai dans le local à la fin du cours.

Quelques élèves avaient ricané. Ils avaient aussitôt cessé de le faire quand elle avait attaché le premier d’entre eux à son bureau en marmonnant quelque chose à propos d’un manque de sérieux. Il y avait deux paires de menottes pour ceux qui s’étaient moqués. Mains dans le dos, entre les barreaux des chaises dans un exemple de contorsions désagréables. Les petite impertinents avaient eu aussi la chance d’avoir aussi les pieds menottés.

-Une fois que vous serez décoincé, il y aura sur mon bureau des exemples d’objets aidants que l’on peut trouver dans une voiture de police, dans l’herbe en sortant de la voiture ou dans une cellule de prison. Le premier sorti quitte la classe avec l’objet qui l’aura finalement libéré, le choix des derniers se trouvera donc réduit aux objets pouvant être les moins pratiques, à moins d’avoir beaucoup d’imagination.

Sur le bureau, il y avait divers bouts de ferraille, des couteaux, et des choses aussi inutiles au premier regard qu’une gamelle métallique et une paire de lunettes. À la fin du cours, il restait une dizaine d’élèves encore coincés à leurs bureau, et deux, debout, qui essayaient de se dépêcher un objet utile. Elle leur avait dit qu’elle reviendrait le lendemain matin pour libérer les derniers. Hoquets de stupeur, d’incompréhension et de mépris furent la trame sonore de son départ de la classe.

-Je laisse la porte ouverte, au moins.

Souriante et satisfaite d’elle même, Mallory enfouit ses mains dans les poches de sa veste légère, ramenant avec elle un sac de menottes beaucoup moins lourd qu’à son arrivée. Devant son casier, elle le laissa doucement rejoindre le sol et, sans chercher la clé du casier, le défit avec habileté armée seulement de ses épingles à cheveux et d’un peu de concentration. Mais elle ouvrait ce cadenas à tous les jours : il était donc normal que par “concentration” elle veuille dire un petit deux secondes de travail. Elle ouvrit la porte, remarqua une feuille qui n’y était pas la veille. Elle la prit, constata qu’il s’agissait seulement d’un devoir en retard d’un élève et se contenta de le plier en quatre et de le glisser dans la poche étroite de son jean. Elle n’avait rien contre les retardataires. Ce devoir, au contraire, la distrairait dans sa soirée. Elle n’avait pas eu de correction à faire depuis qu’elle avait terminé celle de ceux qui étaient dans les temps, et ses soirées se résumaient à glander dans sa chambre, parcourir les couloirs en quête d’une distraction et à préparer divers tours pendables à jouer à ses élèves trop turbulents dans les cours. Elle referma le cadenas. Se pencha pour reprendre son sac mais une main inconnue fut plus rapide qu’elle.

-Je peux le porter pour vous, mademoiselle Conway ?

Elle plissa le nez. Bonne action, pour elle, signifiait service à venir, requête chiante ou encore plan drague foireux. Elle hocha tout de même la tête et reprit sa marche sans un mot, laissant cette personne trottiner derrière elle pour la rattraper.

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À la dérobée, elle observa le type qui la suivait, son sac remplit de menottes cliquetant dans ses mains. Elle l’avait déjà vu, depuis le peu de temps qu’elle avait été embauchée ici, et puis des mecs aux cheveux roux, on les remarquait toujours au premier regard. Tout comme le rose de ses cheveux avec elle, le orange naturel des poils de carotte était plutôt criard. Prenez une marée d’étudiants et de professeurs, mettez y un roux, et vlan ! Il est le premier remarqué. Elle l’avait bel et bien vu, mais elle n’aurait pas su dire s’il s’agissait d’un élève ou d’un professeur. Il était petit, mais il fallait dire qu’elle était très grande et avait tendance à classer tout le monde dans la catégorie des nains. Elle sourit discrètement quand il parla de la météo. En tout cas, ça, elle en était certaine, c’était une manière désespérée de démarrer une conversation. Devait-elle l’aider ou lui nuire ?

-Oh je ne sais pas. Je n’ai pas mis le nez dehors ou regardé par la fenêtre depuis que je suis levée.

Elle porta le regard vers la baie vitrée devant laquelle ils passaient et constata qu’il faisait effectivement un soleil radieux. Elle devrait retourner à sa chambre et travailler sur ce devoir en retard, mais une envie gamine la prit aux tripes : elle avait envie d’aller s’étendre dans l’herbe, dévaler une colline en courant et en trébuchant, lancer des cailloux sur les voitures ou dans les vitres des locaux ... Elle ferme les yeux. Un petit retour en enfance ne lui ferait pas de tort. Elle se trouvait trop sérieuse depuis qu’elle était enseignante. Bien sûr, personne n’était du même avis, la voyant de loin agir avec folie et maltraiter avec joie et bonne humeur ses élèves. Certes, elle déconnait encore comme avant. Mais elle parlait d’un réel retour en enfance, où on s’amuse pour s’amuser.

Elle hocha la tête quand le rouquin nain lui parla de son cours. Il n’était pas dans sa classe, ça c’était certain ... Mais était-il pour autant un professeur ? Ce n’était pas tout le monde qui choisissait de suivre son cours à elle. Elle lui avait déjà adressé un mot, elle le savait ... Mais où ? Sa spécialité était concentrée sur la mémorisation des détails les plus importants. Il lui fallut quelques instants pour mettre ses idées en place, se rappeler d’un échange d’excuses devant la machine à café de la salle des profs à cause de café renversé, du rouquin qui regagne son bureau ... Bureau sur lequel il était inscrit un nom.

-Johnson, c’est ça ? demanda-t-elle. Narcotiques ?

Elle savait que c’était exact. Une fois qu’elle se rappelait, ses souvenirs étaient toujours exacts. Elle fronça les sourcils.

-C’est à cause de vous que des élèves se pointent dans mon cours avec la tête dans les nuages ? demanda-t-elle à nouveau, éclatant de son rire sonore et féminin à la fois.

À part sa poitrine et ses quelques jupes, Mallory n’avait pas grand chose de féminin en elle.

listening to Jeff Buckley - Grace